Plan perspective
Plan détaillé
Les numéros dans le texte se rapportent
à ceux contenus dans le plan détaillé.
Le texte est de Christian Jacq in « Les Grands monuments
de l'Egypte Ancienne » [librairie Académique
Perrin] 1986
Deir el-Bahari, « le sublime des sublimes
», d'après les textes égyptiens, est le chef-d'Oeuvre de la reine Hatchepsout, la plus célèbre souveraine
d'Égypte, qui régna sur les Deux Terres à la XVIIIè dynastie, de 1490 à 1468
avant J.-C. Années de paix, de quiétude, de bonheur tranquille. L'Égypte est
puissante et riche. Hatchepsout
et son Maître d'Oeuvre, le génial Senmout,
se consacrent à la création d'un édifice d'une très grande originalité, tant
par son emplacement que par sa conception. Deir el-Bahari, « le couvent du
Nord », se trouve sur la rive occidentale du Nil, en face de Karnak, dans
un grand amphithéâtre naturel dessiné par une falaise appartenant à la chaîne
libyque. Au sud, une montagne sacrée entre toutes, la cime d'Occident, où
veille une déesse accueillante aux morts justifiés. En ces lieux, le soleil
est d'une rare intensité. Tout resplendit d'une blancheur aveuglante qui,
en plein midi, fait se confondre le temple avec la montagne contre laquelle
il est adossé. En réalité, le temple est montagne ou, plus exactement, la
montagne est devenue temple. Ce fut le pari du Maître d'Oeuvre : utiliser cette
nature sauvage, rébarbative, pour composer une ouvre si animée de charme magique
qu'elle deviendra le sourire d'une reine. Le contraste est frappant entre
la rigueur desséchée de la falaise et le charme magique du temple. Le paysage
est devenu lieu saint. Les terrasses successives, qui caractérisent l'édifice,
sont reliées entre elles par une rampe, ligne ascendante que renforce la verticalité
de la falaise. Nous montons vers l'intérieur de la montagne, nous nous confondrons
peu à peu avec la pierre d'éternité. Ici, la matière devient consciente, elle
sert de reliquaire aux dieux et à l'âme d'une reine. Cette montagne, nous
le verrons, est aussi celle des morts béatifiés et des divinités qui veillent
sur eux. Nous rencontrerons le chacal Anubis et la vache Hathor qui aident les justes à passer de l'autre côté du miroir de
la montagne.
Le site tout entier, d'ailleurs, est
consacré à Hathor. Si cette déesse
s'incarne volontiers dans le corps d'une vache, n'oublions pas qu'elle est
avant tout de nature cosmique et qu'elle brille parmi les étoiles. C'est elle
qui, dans la montagne d'Occident, accueille, au couchant, les êtres lumière.
La clarté de Deir el-Bahari n'est comparable à aucune autre. Écrasante, presque
insupportable sur les parvis du temple, elle se fera de plus en plus douce
jusqu'aux sanctuaires de la terrasse supérieure, peut-être pour nous faire
pressentir que la mort est aussi lumière.
Nous ne savons rien de précis sur le
site de Deir el-Bahari avant le règne du roi Mentouhotep (Moyen Empire, XIème dyn., vers 2050 av. J.-C.).
Cinq siècles avant Hatchepsout,
ce pharaon est enchanté par ces lieux d'apparence inhospitalière et décide
d'y construire son temple funéraire. Mentouhotep, parfois surnommé « le grand
», est un pharaon d'une exceptionnelle envergure. C'est lui qui, au terme
d'une période trouble, a réunifié une Égypte divisée. Il est originaire de
Thèbes et impose sa ville comme une cité désormais essentielle pour la civilisation
égyptienne. Le roi fut aimé au point d'être considéré comme un nouveau fondateur
de l'Égypte.
Il lui fallait un monument à sa taille,
et ce fut son temple de Deir el-Bahari. Situé à gauche de celui d'Hatchepsout, lorsqu'on est de face, le
grand ouvre de Mentouhotep est
malheureusement fort ruiné et ses vestiges n'intéresseront que les spécialistes.
La structure du temple était particulièrement
intéressante : une cour plantée d'arbres d'où partait une rampe qui aboutissait
à un vaste socle sur lequel était érigée une pyramide. Derrière elle, un caveau
creusé dans le roc. Le temple proprement dit avait donc la pyramide pour Saint
des saints, protégeant un type de sépulture dans la montagne, que nous connaissons
à Assouan pour des particuliers, mais que nous retrouvons surtout, sous les
formes diverses, dans la Vallée des Rois.
Détail significatif : si le tombeau
était creusé dans la roche, le sarcophage royal était exactement à l'aplomb
de la pyramide, qui était à la fois le symbole de la première butte émergée
au matin du monde et de la cime d'Occident protégeant le repos du défunt.
Le mari de Hatchepsout, le pharaon Thoutmosis II, mourut jeune. La reine
devint régente du royaume; le futur pharaon, Thoutmosis III, n'était encore
qu'un enfant. Les historiens modernes ont souvent évoqué de terribles querelles
entre la reine et le prince héritier. Avouons qu'elles sont nées de leur imagination.
En réalité, Hatchepsout et Thoutmosis
III, qui allait devenir le Napoléon égyptien, régnèrent conjointement
jusqu'à la mort de la reine.
Hatchepsout
est profondément pacifiste. La déesse qu'elle vénère est Hathor, maîtresse de la joie. La reine définit ses intentions par
ses différents noms: « la première des nobles », « Celle qu'embrasse Amon », « Puissante en force de vies »,
« verdoyante d'années », « divine d'apparitions ». Deir el-Bahari sera le
site où elle pourra exprimer la plénitude d'un règne harmonieux. Fidèle au
passé, elle s'inspire du monument précédent, celui de Mentouhotep: elle aussi
construit un temple en terrasse, elle aussi trace une ligne ascendante vers
le cour de la montagne. Mais Hatchepsout
ne fait pas ériger de pyramide, car la montagne elle-même sera sa pyramide
naturelle.
Pour bien marquer l'intérêt qu'elle
portait à son temple de Deir el-Bahari, Hatchepsout
oriente sa tombe de la Vallée des Rois d'une manière bien précise : son axe
principal, en effet, est dans la direction du « Sublime des sublimes », du temple de lumière.
En raison de la perfection de son temple,
le renom d'Hatchepsout perdura
de nombreux siècles après sa mort. On se rendait en pèlerinage à Deir el-Bahari
et la reine fut longtemps considérée comme une grande souveraine qui avait
procuré du bonheur à son peuple.
Si Deir el-Bahari est avant tout le
couronnement artistique du règne d'Hatchepsout,
nous avons vu qu'il ne fallait pas négliger l'exemple de Mentouhotep ; il existe un troisième personnage qui habite le site
de sa présence, Thoutmosis III en personne. En 1962, on découvrit des
vestiges de son temple entre celui de Mentouhotep
et celui d'Hatchepsout. La
reine et son illustre successeur étaient ainsi rassemblés pour l'éternité.
Senmout (ou
Senenmout), dont le nom signifie qu'il vivait en fraternité avec la Grande
Mère qui protège l'Égypte, fut le Maître d'Oeuvre de la reine Hatchepsout. Certains estiment qu'il devint son amant et qu'ils formèrent
un couple parfois scandaleux aux yeux de nombreux hauts fonctionnaires attachés
à une étiquette rigide. Nous n'avons, à vrai dire, aucune preuve. Nous savons
simplement que Senmout, intendant
des domaines d'Amon, Maître d'Oeuvre
exerçant ses talents à Karnak et à Deir el-Bahari, fut le premier personnage
du royaume après la reine. Ce n'est pas rare en Égypte ancienne où l'artisan
occupait un statut exceptionnel. Confident, conseiller, scribe de haut rang,
Senmout dirigeait une petite équipe
de spécialistes hautement qualifiés. Un « compte d'exploitation » nous apprend
que, sur le chantier de Deir el-Bahari, il n'y avait guère plus de seize charpentiers,
dix tailleurs de pierre et vingt graveurs. Cela peut paraître surprenant,
mais il en fut toujours ainsi, depuis l'époque des pyramides jusqu'à celle
des grandes cathédrales médiévales. Il ne faut pas confondre, en effet, ceux
qu'on nomme les « tâcherons » et les sculpteurs, tailleurs de pierre et dessinateurs
qui recevaient une longue initiation technique et spirituelle avant de pouvoir
transformer la matière en beauté rayonnante.
A Deir el-Bahari, aujourd'hui, il ne
reste que la pierre et le soleil. A nous de faire un effort d'imagination.
Autrefois, la reine avait fertilisé le désert. Elle avait créé, devant le
temple, un grand jardin planté d'arbres et agrémenté de bassins, véritable
petit éden précédant le temple propre` ment dit. Ce rêve de verdure a disparu.
Pour nous accueillir, il ne subsiste qu'un lion, qui marque le départ de
la grande rampe. Autrefois, il était l'aboutissement symbolique d'une allée
de sphinx et, en face de lui, se trouvait son compagnon. Ces deux lions sont
chargés de veiller sur le temple et d'empêcher les êtres impurs d'aller plus
loin. Ils sont hier et demain, ont
la connaissance du passé et de l'avenir. Ils incarnent aussi les montagnes
de l'Orient et de l'Occident, les deux colonnes du monde entre lesquelles
passe l'initié. Les yeux toujours ouverts, ne dormant jamais, ces lions sont
la vigilance même.
La première
terrasse (n° 1 sur le plan)
A Deir el-Bahari, nous n'allons pas
cesser de monter, de passer d'une terrasse à l'autre. Il ne subsiste donc
que le cour du temple, que l'essentiel, comme un squelette dépouillé de ses
tamaris, de ses arbres à encens, de ses sycomores, de ses fleurs, de ses vignes,
de ses agréments aquatiques, de ses
bassins de papyrus, de ses statues royales. Nous sommes confrontés à l'exigeante
réalité de la pierre qui a défié le temps, éliminant sans pitié ce qui adoucissait
et charmait le regard.
L'intérêt de cette première cour réside
dans le mur du fond, contre lequel fut édifié un portique. A ses extrémités,
un Osiris (il n'en subsiste qu'un, à droite, vers le nord).
D'admirables reliefs, malgré les dégradations, sont inscrits sur le
mur du fond de ce portique à colonnes que certains considèrent comme les inspiratrices
de l'ordre dorique de l'architecture grecque.
Sur la droite, vers le nord (n° 2 sur le plan), les scènes dites du
a portique de la chasse » montrent le Sphinx -Hatchepsout-piétinant la masse informe et désordonnée de ses ennemis,
thème classique du pharaon incarnant l'ordre vainqueur du chaos. On voit aussi
une procession de statues royales et l'offrande de quatre veaux (noir, blanc,
rouge, tacheté), symbole de l'offrande du monde animal dans sa totalité. Les
scènes les plus enchanteresses sont celles où l'on voit Hatchepsout chasser les oiseaux d'eau
et cueillir les papyrus. Nous sommes brusquement replongés dans l'univers
paradisiaque des tombes de l'Ancien Empire, avec cette multiplicité sauvage
et palpitante où l'humain s'aventure avec respect. Oiseaux, fleurs, couleurs,
tout semble baigner dans une harmonie bien éloignée des cruautés d'une chasse.
Mais Hatchepsout n'est pas une Diane cruelle
: elle pêche les âmes, elle capture les états spirituels de l'être dont elle
devient dépositaire, en tant que pharaon.
De l'autre côté du portique, sur la
gauche, vers le sud (n° 3 sur le
plan), c'est l'activité d'Hatchepsout
Maître d'Oeuvre qui est magnifiée. Comme tous les pharaons du Nouvel Empire,
Hatchepsout a embelli Karnak, notamment
en érigeant ces aiguilles de pierre qu'on nomme des obélisques. Ce « portique
des obélisques » narre un authentique exploit, celui des artisans de la reine
qui partirent de Thèbes vers Assouan pour extraire des carrières de granit
rose des monolithes capables de devenir des obélisques. Nous n'avons guère
de détails sur le travail des tailleurs de pierre dont les techniques-en particulier
celle du levage-sont restées secrètes en grande partie. Les reliefs se contentent
de nous montrer la partie publique de l'ouvre, à savoir le transport par eau
des obélisques, grâce à une flottille de vaisseaux parfaitement organisée,
et leur accueil triomphal à Karnak, où des soldats jouent trompette et tambour
pour célébrer avec vigueur la réussite de l'entreprise. Il fallut employer
un chaland de plus de 50 m de long et demander aux dieux de protéger le convoi
qui était peut-être guidé par la reine elle-même, du moins dans la dernière
partie du parcours. A la joie bruyante de l'arrivée succèdent silence et recueillement.
Il faut consacrer le terrain où seront érigés les deux obélisques. La reine
effectuera une course rituelle, délimitant magnifiquement un espace. Viendront
alors des spécialistes qui lèveront vers le ciel les deux monolithes pour
qu'ils attirent la lumière et dispersent les énergies nocives.
La deuxième
terrasse ou terrasse intermédiaire (n° 4 sur le plan)
Continuons à monter en empruntant à
nouveau la rampe axiale du temple. Nous passons devant un lion gardien et
nous aboutissons à une terrasse de vastes dimensions. De son milieu approximatif
s'élève la suite de la rampe, toujours dans l'axe du temple.
Plusieurs centres d'intérêt: sur le
côté nord, à notre droite, un portique de 15 colonnes qui font songer à l'ordre
dorique des Grecs. Face à nous, au débouché de la rampe qui continue encore
vers le haut, le portique de l'ouest, avec deux rangées de 22 piliers; à droite,
vers le nord, les scènes qui justifient la royauté d'Hatchepsout (n° 6 sur le plan) ; plus à droite encore, à l'extrémité nord la chapelle
d'Anubis (n° 7). De l'autre côté,
à gauche, vers le sud, les reliefs racontant l'expédition au pays de Pount (n° 8) ; plus à gauche,
à l'extrémité sud, la chapelle de la déesse Hathor (n° 9).
Examinons d'abord le portique de l'ouest,
en commençant par sa partie droite, le « portique de la naissance » (n° 6 sur le plan). Ces scènes sont particulièrement
importantes, car la reine y justifie la fonction divine de Pharaon. Cette
justification ne s'explique pas par le fait qu'elle soit une femme et qu'elle
doive donner davantage d'explications qu'un homme. Chaque pharaon rappelle
cette vérité essentielle pour l'Égypte, à savoir qu'il est à la fois humain
et divin. Participant des deux natures de la terre et du ciel il peut exercer
son gouvernement matériel sans trahir la règle spirituelle. Des scènes du
même ordre ont été inscrites sur les murs de Louxor par Aménophis III et des
vestiges d'autres temples prouvent qu'il existait sans doute autant de versions
sculptées que de pharaons.
Que nous racontent ces scènes ? Rien
moins que la conception et la naissance d'Hatchepsout.
On voit d'abord douze dieux tenir conseil sous la présidence d'Amon-Rê. Ces douze représentent
l'Ennéade, c'est-à-dire neuf dieux. Que le nombre sacré soit 9 et le chiffre
12 ne représente aucune tradition dans l'esprit égyptien. Le chiffre est secondaire
par rapport au Nombre ; quel que soit le chiffre des divinités qui la représentent,
l'Ennéade est toujours le 9, symbole
de la puissance créatrice et organisatrice de l'univers.
Lors de ce conseil, on évoque la belle
souveraine Ahmès. Il est temps de lui donner une descendance. Le dieu
Amon se glisse donc dans le corps
du roi, son époux. Quand ce dernier entre dans la chambre nuptiale, la reine
défaille déjà de plaisir et d'amour. L'odeur du pharaon est si suave que la
jeune femme en est enivrée. L'amour parcourt leur être, l'union charnelle
est consommée. La reine est enceinte. Son bonheur est immense, mais elle se
prépare à souffrir. Les dieux vont l'aider à accoucher selon les rites. L'âme
de l'enfant, une fille, la future Hatchepsout,
est modelée par le potier divin. On lui donne un nom sacré: Mat-kâ-Râ,
c'est-à-dire « l'Harmonie universelle est l'énergie de la Lumière divine ». Toutes les précautions magiques sont
prises. Il est à noter que la future reine est ici un pharaon prédestiné,
donc de sexe masculin, et que le potier lui crée deux corps, l'un mortel et
temporel, l'autre immortel et intemporel (le ka).
Quand son enfant naît, le dieu Amon la prend dans ses bras. Il la reconnaît
comme la fille de sa chair, il exprime une joie immense. Sept génies mâles
et sept génies femelles (les ancêtres de nos bonnes fées) comblent l'enfant
divin de tous les dons pour lui permettre de régner correctement. La vie officielle
du nouveau pharaon pourra commencer : Hatchepsout est associée au trône par son père, pour apprendre l'art
du gouvernement. On assiste à son couronnement, puis à ses voyages rituels
vers le Nord et vers le Sud, pour se faire reconnaître comme ss)souveraine
par les dieux des grandes villes.
Certains de ces reliefs ont souffert
de mutilations que l'on a attribuées, avec trop de facilité, à Thoutmosis
III. Rien ne prouve, en fait, une quelconque haine de ce dernier par rapport
à sa tante. S'il avait voulu l'effacer de l'histoire, il n'avait qu'à raser
Deir el-Bahari. Au contraire, nous l'avons vu, il a ajouté son propre temple,
mais en se faisant discret et en gardant précieusement le chef-d'Oeuvre architectural
de celle qui l'avait précédé sur le trône. De plus, à certains endroits du
temple, les visages et les noms d'Hatchepsout sont conservés. Enfin, ces « martelages » ne sont pas
des destructions bien efficaces, car ils laissent apparaître la sculpture
; lorsqu'elle était trop effacée, des rois comme Séthi Ier
ont pris soin de restaurer les contours afin qu'elle demeure lisible. N'allons
donc pas inventer une guerre civile qui n'a jamais existé, mais constatons
plutôt que Thoutmosis III a tenu à s'inscrire dans une lignée, en se
rattachant directement à Thoutmosis Ier, et en occultant
symboliquement les règnes de Thoutmosis II et d'Hatchepsout,
qui forment un ensemble à part, une originalité d'ailleurs parfaitement en
rapport avec le temple lui-même.
La partie gauche du portique, vers
le sud, est connue comme « portique de Pount
». C'est le récit d'une grande
expédition organisée par la reine vers un pays mi-fabuleux mi-réel (n° 8 sur le plan).
On admet aujourd'hui que le merveilleux
pays de Pount (ou d'Opone) se trouve quelque part sur la côte
des Somalies. Mais cette localisation géographique a moins d'importance que
la fonction même de cette région. Ce n'est pas par souci de faire un beau
voyage que la reine organise une importante expédition vers ce pays de cocagne.
Il lui faut de l'encens, pour les besoins rituels. Et, dans un pareil cas,
les Égyptiens étaient prêts à n'importe quelle aventure pour que le culte
soit accompli selon les règles.
C'est une véritable bande dessinée,
composée de reliefs aussi admirables que précis. Le départ s'accomplit sous
les meilleurs auspices. On a consulté le ciel et on se place sous sa protection.
Il faut alors s'élancer sur la « Grande Verte », avec cinq bateaux, chargés
de cadeaux et de victuailles.
L'arrivée des Égyptiens à Pount provoque un certain étonnement. Sont-ils venus par les chemins du
ciel ? En tout cas, ils ne suscitent aucune crainte. Ce ne sont pas des envahisseurs
qui découvrent un village africain, avec ses cases, ses palmiers, ses singes.
La famille régnante de Pount accueille
les envoyés d'Hatchepsout. La souveraine de Pount est représentée sans complaisance: elle est petite, grosse, difforme,
atteinte d'éléphantiasis. Les négociations commerciales s'entament dans la
bonne humeur. Les Égyptiens échangent leurs produits contre des arbres à encens,
déterrés, avec leurs racines soigneusement enveloppées dans des nattes. Il
est bien précisé que ces arbres sont vivants. Les Égyptiens embarquent aussi
de l'or, de l'ébène, de l'ivoire, des peaux de panthère, divers animaux exotiques
dont une superbe girafe. A Pount , l'expédition se termine par un banquet très arrosé avec, certainement,
la promesse de se revoir.
On passe ensuite directement à l'arrivée
triomphale en Égypte. A chaque débarquement, il y a une cérémonie religieuse.
Celle-ci est exceptionnelle. Thoutmosis III est présent ; il offre de
l'encens. Hatchepsout elle-même
mesure l'encens au boisseau et le dieu Thot enregistre le résultat.
La reine a rempli sa mission. Elle
a fait ramener de Pount l'encens indispensable pour la belle fête de
la vallée et les cérémonies du culte d'Amon.
Aussi, avec joie et fierté, peut-elle rencontrer le dieu Amon et s'entretenir avec lui.
Le sanctuaire
d'Hathor
A l'extrémité gauche de ce portique
de Pount se trouve le sanctuaire de la déesse Hathor. Pour y accéder, on utilise une rampe. L'édifice est un temple
en réduction avec un vestibule, deux salles à piliers et un sanctuaire creusé
dans la montagne.
Ici règne la déesse Hathor, dame de l'Occident, qui accueille
en son sein le soleil couchant et l'âme des morts. On lui offrait des fleurs,
des fruits et des coupes avec, au centre, une grenouille, symbole de résurrection.
On y verra des colonnes et des piliers dits « Hathoriques », car les chapiteaux sont
des têtes de femme à oreilles de vache, I'un des animaux sacrés de la déesse.
Autrefois, ce petit temple avait son
entrée propre et faisait donc l'objet d'un culte particulier. C'est dans la
seconde salle à piliers que l'on découvre des reliefs où se déroulent des
scènes de fête en l'honneur d'Hathor.
Des réjouissances ont lieu sur le Nil, avec un va-et-vient de bateaux tandis
que, sur la rive, des soldats agitent des rameaux. On voit aussi deux épisodes
rituels, « la course à l'oiseau » et « la course à la rame », que Pharaon
accomplissait pour se régénérer et prouver qu'il se trouvait bien au gouvernail
du navire de l'État.
Une scène très étonnante montre le
lien sacré qui unit la reine à la déesse; Hatchepsout,
assise sous un dais, tend la main vers la vache qui lui lèche les doigts.
« Oeil dans oeil, dit le texte, baiser le bras, lécher les chairs divines, saturer
le pharaon de vie et de puissance. »
Dans le sanctuaire, on verra aussi
le rite de « frapper la balle » pour Hathor
(jeu rituel en rapport avec le « contrôle » du mauvais oil et l'ouverture
du bon oil), diverses scènes d'adoration et d'offrande, et surtout la régénération
de la déesse par le lait de la vache Hathor.
Hatchepsout, agenouillée, boit
le lait de la vache du ciel, liqueur de jouvence, liquide magique qui redonnait
déjà force et vigueur aux rois de l'Ancien Empire, d'après les Textes des
Pyramides.
Le sanctuaire d'Hathor, auquel on accédait par trois marches et où Hatchepsout est célébrée dans son rôle
de Maître d'Oeuvre, présente deux particularités notables. D'abord, au-dessus
d'une niche, sur le mur où est inscrite la scène d'allaitement, on voit deux
personnages faire l'offrande du lait et du vin. Leurs visages sont étrangement
semblables. L'homme, c'est Thoutmosis III. La femme, c'est Hatchepsout. Le visage de la reine n'a pas été martelé. Sur le mur
du fond, la reine est également bien présente entre Hathor, la souveraine de cet édifice, et Amon, le dieu d'empire. Il était essentiel, dans ce petit Saint des
saints, que la reine fut présente.
Ensuite nous retrouvons ici le Maître
d'Oeuvre dont nous avons parlé, l'illustre Senmout. Il est présent, lui aussi, dans le secret de ces temples,
de la manière la plus discrète qui soit, derrière les battants de porte des
niches, dans l'obscurité. N'y voyons surtout pas vanité ou gloriole, car personne,
à part Pharaon et les dieux, ne pouvait voir l'image de l'architecte ! Comme
les Maîtres d'Oeuvre du Moyen Age, dont le visage figure parfois dans des recoins
inaccessibles des cathédrales, Senmout
a tenu à être présent magiquement, à participer au rituel qui se déroulait
en ces lieux.
La chapelle
d'Anubis (n° 7 sur le plan)
A l'extrémité du portique de la naissance,
sur la droite, vers le nord, se trouve le sanctuaire d'Anubis, qui fait pendant
à celui d'Hathor. Un dieu, une
déesse, tous deux dans un rôle funéraire, assumant la fonction de gardiens
de la montagne sacrée.
Anubis, celui qui préside au pavillon
d'embaumement le seigneur de la nécropole, celui qui est juché sur la montagne,
celui qui sait manier les bandelettes de la momie est un homme à tête de
chacal. C'est un guide des morts, mais un guide exigeant. Il connaît les secrets
du vent, de l'eau et de la pierre. C'est lui, naturellement, qui conduit la
reine vers le fond de son sanctuaire.
Ce petit temple d'Anubis se compose
essentiellement d'un portique, d'une salle à colonnes où l'on découvre de
merveilleux reliefs, aux couleurs très fraîches, et d'un Saint des saints.
La rigueur d'Anubis, dieu au visage noir, est atténuée par cette luxuriance
aux tons doux, reposants, qui anime les murs de la salle à colonnes. Sous
la protection d'Anubis, qui la guide dans les régions de l'au-delà, Hatchepsout vénère Osiris , qui se fait ici très discret contemple Hathor à la tête ornée de cornes de vache
entre lesquelles se lève le soleil, découvre le dieu à tête de faucon, incarnation
du soleil qui donne la vie, vénère Sokaris dieu funéraire, à qui est offert
le vin qui régénère.
Pour pénétrer dans le sanctuaire du
fond, il faut tourner à angle droit, vers la droite, cette partie de l'édifice
étant coudée comme une équerre. Ce Saint des saints est voûté. Sa décoration
prouve que c'était, comme la plupart des édifices de ce type, un lieu d'initiation.
Dans la niche terminale, nous découvrons deux dieux, Amon, le Principe caché de la vie en esprit,
et Anubis, le conducteur d'âmes qui a conduit l'initié vers Amon. Hatchepsout est agenouillée devant le chacal. Elle l'a suivi en toute
confiance, et retrouve son père Amon,
le dieu qui l'a créée, de même que l'initié atteint à nouveau à la source
dont il est issu. Détail significatif: une peau d'animal accrochée à une hampe.
La symbolique de cette peau est essentielle. C'est celle du vieille homme
» dont l'initié doit se dépouiller pour devenir l'« homme nouveau », purifié,
débarrassé de ses entraves. Lors du rite, l'initié, nu, entrait dans cette
peau. Il redevenait embryon dans la matrice. Elle n'était plus, alors, vêtement
que l'on quitte, mais ventre où se produisait une nouvelle fécondation, d'ordre
spirituel.
Ce petit temple est l'un des rares
lieux où l'enseignement initiatique correspondant aux fonctions d'Anubis
a été en partie révélé. C'était un « prêtre », portant un masque de chacal,
qui officiait. Il évoquait cette « peau de résurrection » et indiquait les
« bonnes routes de l'Occident » qui conduisaient à la montagne où la mort
physique serait vaincue.
La terrasse
supérieure ou troisième terrasse
Élevons-nous encore d'un degré pour
accéder à la partie supérieure du temple (n°
10 sur le plan), point d'aboutissement de la longue rampe qui partait
donc des parvis pour aboutir à ce sanctuaire. Admirable illustration architecturale
d'une voie droite, sans détours, qui mène de l'apparence au réel.
Seuls quelques rares personnages avaient
la possibilité de pénétrer en ces lieux. Il fallait être passé par l'enseignement
d'Anubis et d'Hathor, avoir déjà
franchi de nombreuses portes pour être admis dans ce « dernier cercle ».
La décoration de la rampe qui mène
à cette troisième terrasse est intéressante: on y voit la déesse vautour
de Haute Égypte et la déesse serpent de Basse Égypte. Autrement dit, en arrivant
au troisième palier du temple, on concilie ce qui était double; la reine-pharaon
réunissait les deux parties de son pays, qui correspondaient d'ailleurs aux
deux parties de son être spirituel. C'est unifiée, cohérente, qu'elle pouvait
aborder les grands mystères.
Cette terrasse a malheureusement souffert.
Autrefois, il y avait un portique composé de vingt-deux piliers dits « osiriaques
», car ils représentaient le dieu Osiris momifié.
C'était le passage de la mort à la
vie. Hatchepsout, reconnue comme
juste par le dieu des morts et par son tribunal, passait par le superbe portail
de granit rose, véritable porte de l'autre monde. L'inscription du linteau
est d'ailleurs lumineuse: « Horus donne la vie »
Nous pénétrons alors dans une cour
(26 m de profondeur sur 40 de large environ, autrefois bordée de deux rangées
de colonnes sur ses quatre côtés. En partant de là, trois ensembles de chapelles
qui sont trois expressions de la spiritualité vécue en ce lieu: à notre gauche,
au sud (n° 11 sur le plan), le
sanctuaire de la reine Hatchepsout
divinisée; à notre droite, vers le nord, un sanctuaire solaire (n° 12) ; face à nous, vers l'ouest,
le sanctuaire ultime du temple (n°
13).
Ces trois sanctuaires forment un Saint
des saints à trois facettes, correspondant à une certaine démarche de l'initié
dans le temple. Ne nous dirigeons pas tout de suite vers le centre, vers la
chapelle du fond, dans l'axe. Pour nous préparer à la rencontre avec le dieu
suprême de ce temple, il nous faut d'abord déchiffrer les chapelles du sud
et du nord.
Dirigeons-nous sur notre gauche, vers
la chapelle du sud (n° 11 sur le
plan). Ce sanctuaire est celui d'Hatchepsout
divinisée. Le thème majeur est même plus vaste, puisque le père de la reine,
Thoutmosis Ier, est présenté,
doté d'une chapelle qui lui est propre. C'est donc la lignée pharaonique,
dans son aspect sacré, qui est ici évoquée.
Pour pénétrer dans l'édifice, il faut
passer par une porte ménagée dans le mur sud de la cour. Après un vestibule,
on découvre, à gauche, la chapelle de Thoutmosis Ier, à droite celle d'Hatchepsout. Ils ne sont pas seuls. Il
y a aussi l'inévitable Maître d'Oeuvre Senmout
qui s'est fait représenter, agenouillé, mains levées en signe de vénération,
derrière une porte. Être loin de la reine lui paraissait impossible. À travers
lui, ce sont tous les bâtisseurs qui rendent hommage au roi et à la reine
divinisés. Mais Senmout avait su
aussi être discret; il devenait invisible lorsqu'on fermait la porte.
Nous sommes ici dans des appartements
funéraires, dans une sorte de tombe où les âmes du roi et de la reine connaissaient
la félicité éternelle. Des porteurs d'offrandes leur apportent les nourritures
nécessaires. Dans la chapelle voûtée d'Hatchepsout, où règne une paix d'une qualité
rare, on procède au sacrifice du bouf et de l'antilope, animaux chargés d'une
énergie particulière qui sera offerte au corps subtil des roi-dieux. Au fond
de la chapelle, une stèle, point central du culte.
Quittons cette chapelle, traversons
la cour et dirigeons nous vers la chapelle nord, à droite de l'axe central
(n° 12 sur le plan).
Ce qu'on appelle « les chambres du
Nord », ou « le sanctuaire du soleil » sont un véritable petit temple consacré
à la lumière. La chapelle d'Hatchepsout,
avec son aspect fermé, intériorisé, était celle de la lumière cachée, nocturne;
la chapelle d'Horakhty (Horus qui est dans la région de la lumière)
est celle de la lumière révélée. Ténèbres et clarté, indissociables, sont
ici complémentaires et non antagonistes.
La structure de ce petit édifice est
simple : d'abord un vestibule dont le fond est occupé par une niche où se
trouve la reine Hatchepsout, grave
et recueillie, puis une cour avec un autel en son centre pour célébrer le
culte du soleil en plein air et face à l'est. Sont rassemblés la reine, Rê-Horakhty,
dieu de lumière et Amon-R. Hatchepsout, fait notable, porte ici le
plus sacré et le plus symbolique de ses noms: Maât-kâ-râ, « l'Harmonie universelle
est l'énergie de la Lumière divine ». Certes, il faut être pharaon pour porter un tel nom,
qui est particulièrement justifié en ce sanctuaire
du sommet de la montagne, où l'on est saisi d'une intense émotion. Là se célébrait
le rite du soleil levant auquel quelques initiés-la taille de la cour prouve
leur petit nombre-participaient, priant pour que la lumière sorte une nouvelle
fois des ténèbres. C'est la tradition de la vieille cité d'Héliopolis: si
les initiés n'ouvrent pas pour faire se lever le soleil, celui-ci ne sortira
plus du royaume des ombres et la terre sera condamnée au désordre.
C'est aussi l'annonce de la fameuse
religion solaire d'Akhenaton. Le grand temple d'Amarna, malgré ses dimensions considérables, ressemblait à ce petit
sanctuaire pour la conception générale : un culte vécu à ciel ouvert, en présence
du disque solaire dont les rayons donnent la vie.
Dans une chapelle exiguë, à droite
de cette cour, nous retrouvons Anubis. Le guide des morts s'est placé
tout près du soleil, sans doute parce que les défunts reconnus justifiés vivent
à jamais dans la lumière dont ils étaient issus. De plus, Anubis veille
sur toute la proche famille d'Hatchepsout,
notamment son père et sa mère, comme s'ils avaient traversé la cour, comme
nous l'avons fait, pour communiquer avec le soleil levant.
Nous sommes maintenant en mesure d'achever
notre périple et de pénétrer dans la partie centrale du Saint des saints.
Revenons donc au centre de la cour et dirigeons nous droit devant nous, dans
l'axe du temple, pour pénétrer dans le « sanctuaire de l'ouest » (n° 13 sur le plan).
Nous entrons à présent dans le domaine
secret du Maître du temple, le mystérieux Amon. Certes, nous l'avons vu, la vache Hathor et le chacal Anubis sont très présents à Deir el-Bahari; mais
le souverain des lieux, celui qui est placé au sommet, c'est le père divin
de la reine Hatchepsout, le dieu
d'empire Amon, celui dont nul être
ne connaîtra jamais la vraie forme.
Deux détails encore, avant de progresser:
de part et d'autre de l'entrée du Saint des saints, on verra, dans le mur,
neuf niches. Elles contenaient neuf statues de la reine Hatchepsout qui, en se divinisant, devenait
donc à elle seule l'Ennéade, cette « compagnie divine » qui détient les forces
de création. Autre fait notable: aux deux extrémités de ce mur existent deux
petites chapelles. Celle de gauche, vers le sud (n° 14 sur le plan), est fort curieuse
en ce sens qu'elle révèle l'existence d'un couple divin, Amon et son épouse Amonet,
le Caché et la Cachée.
Pour entrer dans le lieu qu'elle considérait
comme le plus sacré en ce monde, Hatchepsout chaussait des sandales blanches, pour ne point souiller
le sol. Recueillie, silencieuse, elle découvrait la première salle où se trouvait
la barque divine d'Amon. Nombreuses
sont d'ailleurs les représentations de barques à Deir el-Bahari, car Amon
était le maître du vent favorable qui gonflait les voiles et permettait aux
embarcations qui circulaient sur le Nil d'arriver à bon port. Bien entendu,
c'était une barque en réduction qui était conservée dans ce sanctuaire où
Hatchepsout et Thoutmosis III font l'offrande du vin d'Amon et à des souverains qui les ont précédés.
C'est la famille royale, au sens le plus large, qui se rassemble pour vénérer
Amon dont les reliefs évoquent
les doux jardins et le culte de sa statue. Malheureusement, du noir de fumée
empêche d'apprécier ces reliefs à leur juste valeur. Il n'en reste pas moins
que l'extrémité du temple de Deir el-Bahari était ce lieu exceptionnel où
la plus grande des reines d'Égypte venait s'entretenir avec son père Amon des affaires du ciel et de la terre.
Les surprises
de Deir el-Bahari
Le temple d'Hatchepsout a quelques aspects des plus insolites. Le premier d'entre
eux est que le Saint des saints où nous nous trouvons ne termine pas le temple.
Le mur du fond, en effet, a été creusé à l'époque ptolémaïque pour donner
accès à un nouveau sanctuaire ! Deux personnages d'une exceptionnelle envergure
nous y attendent : Imhotep, le Maître d'Oeuvre de la pyramide à degrés
de Saqqarah, et Amenhotep fils de Hapou, l'un des plus grands
Maîtres d'Oeuvre du Nouvel Empire. Pour une fois, Senmout est absent, ce qui fait croire à certains égyptologues qu'il
n'était pas le seul architecte de Deir el-Bahari. Cet arrière-temple, consacré
à deux illustres architectes, fut le lieu de cérémonies magiques. Imhotep
et Amenhotep furent en effet considérés comme de véritables dieux guérisseurs
qui possédaient la science nécessaire pour donner aux hommes santé spirituelle
et corporelle. En cette chapelle s'accomplirent des miracles. L'ombre bienfaisante
de ces deux géants de l'histoire de l'humanité veille encore en ces lieux.
Autres surprises de Deir el-Bahari:
les fameuses « cachettes ». Il en existait une sous le dallage du vestibule
qui donne accès aux chapelles de Thoutmosis Ier et d'Hatchepsout. Là furent découvert des cercueils
appartenant à des prêtres d'Amon
et datant de la Basse Époque. Ils sont aujourd'hui dispersés dans divers musées.
Ces grands dignitaires-hommes et femmes-avaient donc connu, comme dernière
sépulture sacrée, le temple de la reine Hatchepsout, dans un endroit suffisamment protégé pour connaître enfin
un dernier repos. Sans doute avait-on déplacé cette centaine de sarcophages
en raison de risques de violations de sépultures. La seconde cachette contenait
un trésor encore plus fabuleux. Elle se trouvait près du temple, sur le flanc
sud. Dans un puits de 12 m de profondeur était creusé un couloir de 70 m de
long qui aboutissait à une grande salle. Cette dernière abritait les momies
de pharaons de la XVIIIème et de la XIXème dynastie
au rang desquels figuraient Sethi Ier, Aménophis Ier,
Thoutmosis II et le grand Ramsès II en personne ! Déchirante
fut sans doute la décision de sortir les momies de leur tombeau de la Vallée
des Rois et de les amener, dans le plus grand secret à l'intérieur de cette
cache aménagée avec soin. Mais les troubles sociaux devaient être si graves
que certains pillards n'auraient pas hésité à profaner les sarcophages. La
Vallée des Rois ne devait plus être gardée et ses plans secrets, permettant
d'entrer dans les tombes, avaient été dévoilés par des prêtres indélicats.
La dernière précaution des initiés chargés de la préservation des momies royales
fut la bonne : il fallut attendre la fin du XlXème siècle pour
que des archéologues découvrent cette cachette grâce à... des pilleurs de
tombes ! Ces derniers avaient vendu des objets anciens, attirant l'attention
de quelques savants. En remontant la piste, après une enquête difficile, il
fut possible d'arracher à l'oubli les corps momifiés de quelques-uns des plus
grands monarques de l'Égypte ancienne.
Ne quittons pas Deir el-Bahari sans
évoquer une dernière fois un personnage que nous avons souvent rencontré,
le Maître d'Oeuvre Senmout. Comme
on aurait pu le supposer, sa tombe est toute proche de ce temple qu'il aimait
tant. Elle se trouve dans une carrière-admirable lieu de repos éternel pour
un architecte-, non loin de l'entrée de la terrasse inférieure sur la droite
du temple en montant vers lui. On verra, dans cette tombe, un dessin qui est
un portrait du Maître d'Oeuvre et de très importantes représentations astrologiques
et astronomiques; tout Maître d'Oeuvre, en effet, devait parfaitement connaître
ces sciences pour calculer la date de fondation d'un édifice, définir son
orientation et le mettre en harmonie avec les forces du cosmos. Senmout n'est pas enterré dans ce tombeau,
car il n'était pas réservé à son corps mais à son esprit et à sa fonction
de Maître d'Oeuvre. C'est d'ailleurs pourquoi le caveau, partie ultime de la
tombe, a été creusé sous l'angle nord-est de la terrasse inférieure du temple.
Caveau d'ailleurs inachevé, comme l'ouvre de tout architecte, comme tout temple.
Le Deir el-Bahari de Senmout lui
a survécu pour les siècles des siècles. Caché derrière une porte, au fond
d'une niche, sous le temple, le Maître d'Oeuvre de la reine Hatchepsout ne laisse à personne d'autre que lui-même le soin de veiller
sur le « sublime des sublimes », le temple au sourire de pierre.
Deir el-Bahari. Le visage de la déesse
Hathor, « la demeure d'Horus »,
dont le sourire est celui du bonheur intérieur de la joie sereine vécue par
le sage.