Plan
Général
Plan
du Saint des Saints
Louxor, pour beaucoup,
marque un moment de perfection dans l'art égyptien. On a souvent écrit que
se dressaient là les plus belles colonnes conçues par les architectes égyptiens.
Le temple de Louxor est
intimement lié à l'immense Karnak. Les anciens y accédaient de deux manières:
soit par bateau, en suivant le Nil, soit par la voie de processions, le grand
axe nord-sud de Karnak qui se prolongeait au-delà du Xe pylône. C'était une
large allée de sphinx gardiens et protecteurs qui reliait les deux temples;
il est prévu de la dégager dans sa totalité.
La statue du dieu et sa
barque faisaient halte dans de petits reposoirs du type de la a chapelle blanche
» de Sesostris Ier; ces « sorties du dieu » étaient l'occasion
de réjouissances populaires où le commun des mortels voyait se manifester
la présence divine.
Amon
venait à Louxor à l'occasion du Nouvel An, moment de passage entre deux mondes
particulièrement important aux yeux des Égyptiens. Le nom de Louxor est ipet-sout, que l'on traduit généralement
par « harem du sud ». Si sout signifie
bien « sud », et marque la position géographique de Louxor par rapport à Karnak,
la traduction de ipet par « harem
» ne peut qu'induire en erreur. Ipet
signifie « lieu du nombre », « endroit qui contient la capacité d'énumérer
chaque chose », autrement dit de connaître ce qui est et d'en être maître.
Dans ce grand temple de
260 m de long, Amon venait donc célébrer une fête divine et
prenait la forme de Min, le dieu au sexe en perpétuelle érection. Il révélait
ainsi sa puissance de création qu'il renouvelait chaque année pour féconder
à nouveau la nature.
C'est au pharaon Aménophis
III et à son illustre Maître d'Ouvre, Amenhotep
fils de Hapou, que l'on
doit la conception de Louxor, où Ramsès
II fit d'importantes adjonctions. « Mon maître m'a nommé chef de travaux,
dit Amenhotep ; j'ai établi le nom du roi
pour l'éternité, je n'ai pas imité ce qui était fait autrefois, personne n'avait
fait cela depuis la mise en ordre du monde. J'ai été initié aux livres divins,
j'ai eu accès aux formules de Thot, j'étais expert en leurs secrets, j'ai
résolu toutes leurs difficultés. »
Ne voyons aucune vantardise
dans ces paroles qui faisaient partie du rituel initiatique des Maîtres d'Ouvre
accédant à leur fonction. Si preuve était nécessaire, le temple de Louxor
est devant nous: Amenhotep n'a pas menti sur ses capacités.
Trois pharaons célèbres
ouvrèrent à Louxor: Akhenaton, ToutankhAmon et Alexandre le Grand,
qui marquèrent discrètement de leur présence le Grand Ouvre d'Aménophis III. On disait que le sol du temple, paré d'argent, était
posé sur un lit d'encens; Louxor, par sa beauté et sa pureté de lignes, fut
l'objet des plus grands soins jusqu'à la fin de la civilisation pharaonique.
Au début du IVe siècle après J.-C., il fut transformé par les Romains en temple
de culte impérial avant de servir d'église chrétienne. A ces avatars s'ajoutèrent
l'invasion assyrienne et le tremblement de terre de 27 avant J.-C.
Autre surprise: la présence
d'une mosquée qui s'avance à l'intérieur du temple, appendice bizarre qui
choque le regard. Louxor n'est donc pas entièrement dégagé, les fouilles n'ayant
pu être pratiquées sous cette mosquée où est enterré le bienheureux Cheikh
El Said Yousef Abou el Haggag, patron musulman de Louxor, père des pèlerins,
capable de multiplier l'eau d'une gourde pour ceux qui ont soif. Mort en 1244
après J.-C., il avait découpé une peau de chevreau en lanières qui, mises
bout à bout, formèrent une enceinte protectrice autour de la ville. Les anges
l'emportèrent agonisant sur leurs ailes et le déposèrent dans le temple de
Louxor. Chaque année se déroule, en son honneur, une procession de la barque
qui est un lointain rappel de la fête antique.
Louxor est construit sur
un socle de pierre, tout près du Nil, qui atteint à cet endroit sa plus grande
largeur. Avant l'entrée du temple, marquée par le grand pylône, une allée
de sphinx et une grande cour dues à l'un des derniers pharaons égyptiens,
Nectanebo Ier (n° 1 sur le plan). Le regard est aussitôt
attiré par la façade du temple: un obélisque (il y en avait deux à l'origine),
deux colosses encadrant la porte du temple (six à l'origine; il en demeure
un troisième à l'extrême droite) et les deux hautes tours du pylône (n° 2) dont les sommets ont presque totalement
disparu.
L'ensemble est d'une majesté
inégalable. L'obélisque manquant se dresse place de la Concorde, à Paris,
où il fut érigé en 1836 au prix de grandes difficultés. Sur l'obélisque demeurant
en place (25 m de haut, plus de 250 tonnes), dont le pyramidion était recouvert
d'or, Ramsès II vénère Amon-Rê,
le maître du temple. A la base, des cynocéphales, les singes sacrés de Thot,
célèbrent la venue de la lumière du matin qu'il aident à s'épanouir par leurs
cris. Les deux obélisques avaient pour fonction d'écarter les énergies négatives
pour attirer les forces positives venues du ciel.
L'entrée
du Temple de Louxor au XIXè siècle
Véritables paratonnerres
sacrés, les obélisques protégeaient le temple. Les six colosses royaux de
Ramsès sont des gardiens; sur leurs côtés, l'épouse de Ramsès, Nefertari
et l'une des filles du roi. Une représentation, sur le piédestal, indique
bien les fonctions de ces statues géantes: Les « neuf arcs », c'est-à-dire
l'ensemble des peuples étrangers, sont soumis à l'autorité de pharaon. Il
s'agit de l'inverse de l'Ennéade des dieux, des neuf régions symbolisant le
monde entier placé sous les pieds du roi.
La surface offerte par
les deux tours du pylône offrait à Ramsès
II l'occasion de développer un thème qui lui est cher, la bataille de
Kadesh, livrée contre les Hittites. Sur la tour de droite est représenté le
camp égyptien que protège un rempart relativement sommaire, fait de boucliers.
L'heure est grave. Deux
espions hittites ont été capturés. En réalité, ils se sont volontairement
jetés dans la gueule du loup pour pratiquer la « désinformation » ; ils ont,
en effet, donné de faux renseignements sur la position de l'armée hittite.
Le pharaon tient un conseil de guerre avec ses officiers supérieurs; personne
n'a perçu la traîtrise. Sur la tour de gauche, c'est la bataille elle-même
où Pharaon, abandonné des siens, paniqués par l'adversaire, affrontera seul
11 000 Hittites. D'une taille considérable par rapport à l'ennemi, Ramsès
II, inspiré par son père Amon, disperse les forces du chaos.
La porte du temple passée,
nous accédons à la première cour, celle de Ramsès
II (n° 3 sur le plan) qui est fermée par un
nouveau pylône, dû à Aménophis III
(n° 4). Sur la gauche, la mosquée Abou
el Haggag (n° 5). Sur la droite,
un petit sanctuaire composé de trois chapelles dédiées aux dieux Amon, Mout et Khonsou, la triade thébaine. Les
colonnes de granit sont d'une élégance telle que l'architecture de ce reposoir
des barques sacrées en devient aérienne.
Le linteau de la porte
qui donne accès à la chapelle centrale montre Pharaon courant vers Amon;
à gauche, il est le roi de Basse Égypte portant la couronne blanche; à droite,
il est le roi de Haute Égypte portant la couronne rouge. Il y a donc deux
Amon pour accueillir le souverain; au centre,
entre les deux dieux identiques, le génie de l'éternité porte sur la tête
le nom du roi, surmonté d'un soleil. Dans la lumière, tout revient à l'unité.
Austères et massives sont
les colonnes bordant les murs de la cour. Entre elles, des statues du roi
debout avec, de petite taille, une reine ou une princesse se serrant tendrement
contre la jambe du colosse. Fait curieux: une seule de ces statues est taillée
dans du granit noir alors que les autres le sont dans du granit rose. C'est
un thème essentiel de la religion égyptienne, celui du Un et du multiple,
de ce qui est potentiel, non exprimé, plein de vie (le rouge).
Les reliefs des murs de
cette cour, comme tous ceux de Louxor, sont d'une exceptionnelle qualité.
Dans l'angle sud-ouest se développent deux scènes rares. La première est une
procession bien particulière où, parmi des prêtres porteurs d'offrandes figurent
dix-sept fils de Ramsès II tenant dans la main gauche de
longs bouquets montés, dont l'odeur suave nourrira l'âme des dieux; mais les
« vedettes » du cortège sont six énormes boufs qui ont été engraissés pour
le sacrifice. Ils sont parés, portant même des fleurs entre leurs cornes.
Au-dessus de deux d'entre eux, une tête de nègre et une tête d'Asiatique.
Ces animaux, qui se traînent difficilement en raison de leur poids, symbolisent
la matière vivante qui offre ses richesses à la divinité, ainsi que les régions
du monde soumises au roi.
La seconde scène est l'inauguration
du pylône de Louxor. Chaque cérémonie de ce type était, pour les Égyptiens,
l'occasion d'une grande fête à laquelle la population
était associée, bénéficiant de jours de congé et de nuits passablement
enfiévrées où vin et bière n'étaient point rationnés. Sur ce relief est représenté
le pylône lui-même, avec ses quatre mâts à banderoles, précédé des six colosses
de Ramsès II et des deux obélisques.
Ainsi s'achevait la dernière partie du temple dont la construction avait commencé
par le Saint des saints. N'oublions pas que les scènes sont liées entre elles:
la procession des boufs gras se dirige vers le temple où ils seront offerts
en sacrifice.
Pour sortir de la cour,
on passe devant deux colosses de Ramsès
II très dégradés, encadrant la porte du pylône d'Aménophis
III (n° 4 sur le plan). Sur
les socles des statues, les ennemis de Pharaon vaincus et ligotés; contre
la jambe droite de Pharaon, son épouse Nefertari, de petite taille,
sous la forme de la déesse Hathor
ou, plus exactement, portant l'habit de grande prêtresse d'Hathor. C'est parce
que la victoire sur les ténèbres a été remportée par son royal époux que la
reine peut organiser la fête et laisser la joie s'exprimer.
Engageons-nous dans une
superbe allée de 52 m de long, bordée de sept colonnes (15,80 m de haut) de
part et d'autre, qui donne à la fois une impression d'élévation et de goulot
d'étranglement (n° 6 sur le plan). A cet endroit, il y a un net changement
d'axe, comme si le temple était brusquement redressé en ligne droite. Ni maladresse
ni difficulté technique non résolue, mais volonté symbolique du Maître d'Ouvre.
On passe par un « sas » et le chemin change de nature, car le temple lui-même
devient différent. A l'est et à l'ouest, deux murs bordent cette colonnade,
leur décoration est due à deux pharaons, Toutankhamon et Horemheb,
qui régnèrent après l'« hérésie » d'Akhenaton et chantèrent à nouveau
la gloire du dieu Amon. Aussi firent-ils représenter les épisodes
de la fête de la déesse Opet,
pendant laquelle les barques d'Amon,
de Mout, de Khonsou et
du pharaon sortent du temple de Karnak pour se rendre à Louxor en empruntant
le Nil. Sur la rive, une foule imposante, avec des musiciens, des danseurs.
Cette fête est célébrée dans le monde extérieur, des profanes y sont admis.
Mais bientôt les barques sacrées vont entrer dans une partie du temple réservée
aux initiés. La grande colonnade incarne, de manière monumentale, le passage
entre ces deux mondes.
Pénétrons donc dans la
seconde grande cour du temple, celle d'Aménophis
III (52 m de large sur 48 de long, n°
17 sur le plan), qui précède le temple couvert. Sur trois côtés, elle
est bordée de deux rangées de colonnes papyriformes, à chapiteau fermé, sans
doute les plus belles d'Égypte. Espace à ciel ouvert, certes, mais chapiteaux
fermés: tout est présent, rien n'est révélé.
On s'imprègne pleinement,
ici, de la puissance de la verticale, de ces traits de lumière gravés dans
la pierre pour nous permettre de passer d'une vision matérielle du monde à
une vision sacrée, et nous préparer aux mystères du temple intérieur.
Ce temple couvert débute,
comme il est de règle, par une salle à colonnes, ici au nombre de 32 (n°
8 sur le plan). Première constatation: cette partie de l'édifice est nettement
différenciée du reste, car elle est bâtie sur une sorte de plate-forme. Le
soubassement a d'ailleurs reçu texte et décor particuliers, à savoir une procession
de personnages qui symbolisent les provinces d'Égypte. C'est donc le pays
entier qui sert de support au divin.
Derrière la salle à colonnes
s'ouvrent plusieurs petites pièces dont les plus importantes sont la salle
d'offrandes à quatre colonnes (n° 10
sur le plan), où le pharaon accomplit des rites d'offrandes à Amon
et à Min, et le sanctuaire où
était abritée la barque sacrée (n°
11 sur le plan), partie du temple modifiée par Alexandre le Grand qui
s'est fait représenter, sur les parois, adorant les dieux égyptiens. Le conquérant
grec a imité les scènes où l'on voit le pharaon Aménophis
III en action. Après avoir libéré l'Égypte du joug assyrien, après s'être
fait couronner roi dans l'oasis d'Amon,
Alexandre a tenu à venir jusqu'à Thèbes et à marquer sa piété envers la vieille
religion, dans le secret d'un temple couvert. Étrange démarche qui éclaire
peut-être d'un jour nouveau l'aventure de ce conquérant dont la puissance
temporelle était ainsi déposée en offrande aux pieds d'Amon.
Sur la gauche de la chapelle
de la barque, deux autres chapelles; l'une (n°
12 sur le plan) nous conte le couronnement d'Aménophis
III, l'autre évoque la conception divine et la naissance du pharaon (n° 13). Les scènes sont gravées sur le
mur ouest, en relief si léger-et de plus dégradé-qu'elles sont bien difficiles
à déchiffrer.
Pharaon ne cherche ni
à « prouver » sa naissance divine ni à recueillir les suffrages de la population.
Son statut de chef d'État est établi depuis l'aube des temps et n'a jamais
été remis en question, puisque même les Grecs et les Romains furent obligés
de devenir rituellement pharaons pour pouvoir gouverner l'Égypte. Nous sommes
dans un temple fermé, loin de toute idée de propagande. Ce qui est révélé
ici, c'est le processus d'une naissance dans son aspect divin. Khnoum, le
potier à tête de bélier, modèle sur son tour le pharaon et son ka,
son « double » ou plus exactement l'énergie immortelle qui animera son
corps mortel. Le futur roi est potentiellement prêt à naître. Encore faut-il
que le dieu Amon, habitant le corps du roi
Thoutmosis IV, s'unisse charnellement à la reine Moutemouia
(dont le nom signifie « Mère qui est dans
la barque »). Thot annonce à la reine la naissance d'un fils.
Elle est guidée par des divinités vers la chambre de la naissance et bénéficie
de leur aide pendant l'accouchement. Amon accueille son fils avec joie,
tandis que la destinée la plus heureuse lui est assurée magiquement. L'enfant
et son ka sont allaités par Hathor,
en tant que vache céleste. Enfin, le nouveau pharaon monte sur le trône.
Ce résumé très succinct
d'un long rituel, développé également à Deir el-Bahari dans le temple de la
reine Hatchepsout, est un exposé quasi scientifique de la manière dont
les dieux créent la vie et modèlent un pharaon destiné à être « la lumière
des vivants ».
Au-delà du sanctuaire
de la barque, vers le sud, se trouve le Saint des saints (n°
14 sur le plan). Il se compose d'un vestibule à 12 colonnes précédant
trois chapelles. Dans celle du milieu était placé un naos contenant la statue
divine. C'est là, comme le montrent les reliefs, que pharaon rencontrait son
père Amon. Deux dieux le guident vers lui: Horus, protecteur de la royauté, et Atoum, le créateur.
Les bruits de la grande fête s'étaient estompés, l'exubérance de la foule restait au-dehors;
au plus secret du temple, le Père s'incarnait dans le Fils, divinisant ainsi
la terre d'Égypte et lui offrant une fête de l'esprit ininterrompue.